La hausse des taux aura-t-elle lieu?

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Depuis le mois de juin 2013, il est question de réduire progressivement les injections monétaires massives qui ont permis jusque là de maintenir sous contrôle l’inlassable croissance de la dette des pays développés, et de redonner à la croissance économique quelques couleurs. Cette réduction fera-t-elle ressurgir les problèmes d’endettement dans certaines zones du monde ?

À la fin du mois de mai 2013, Ben Bernanke, président de la Federal Reserve, constate que les effets négatifs de la création monétaire commencent à l’emporter sur ses effets positifs. Il déclare alors que cette politique d’injection monétaire pourrait cesser à mesure que la reprise économique américaine se confirme, et s’arrêter totalement par exemple à l’horizon de l’été 2014.

Cette déclaration marque un tournant dans la gestion de la crise de la dette que nous traversons depuis 2008. Si elle est suivie des faits, le niveau de liquidité mondiale devrait ralentir sa progression – autrement dit, il y aura moins d’argent en circulation dans le monde, alors que les besoins de financement des dettes publiques de nombreux pays continuent d’augmenter.

 


Le drôle de crash de juin 2013…

La réaction des marchés a été brutale. Dans les 20 premiers jours de juin, nous avons assisté à un phénomène inédit: une baisse généralisée de tous les actifs dans le monde. Lorsqu’il y a moins d’argent dans le monde, le prix des actifs risqués est naturellement impacté. Aussi, les actions du monde entier ont très fortement baissé à cette période. D’ordinaire en de telles circonstances, des actifs refuges profitent des afflux de capitaux qui quittent les actions, et les obligations d’État, le dollar, l’or etc. remontent. La décorrélation en actifs risqués et actifs refuges permet à un portefeuille structuré de diminuer son exposition au risque.

Or ici, aucune protection du capital n’a fonctionné : le dollar américain, l’or, les emprunts d’États américains, européens (le Bund allemand aussi bien que l’OAT 10 ans français, italien, espagnol…) ont très fortement baissé au même moment. Les taux d’emprunt à 10 ans de l’État français ont doublé en un mois, passant de 1,40% environ à 2,90% en juillet – ce qui correspond à une très forte baisse de la valeur des emprunts d’Etats.

En réaction à l’idée d’une baisse généralisée de la liquidité mondiale, l’ensemble des actifs a baissé de concert.

 


Coup d’éclat de la banque centrale chinoise

En outre, les marchés émergents ont subi une double peine: en plein milieu de la tempête de ces vingt premiers jours du mois de juin, dans la nuit du 10 juin, une importante banque chinoise s’est vue refuser un financement de court terme parfaitement habituel par la PBOC (Popular Bank Of China, la banque centrale chinoise). À cet instant, en l’espace de 48h, les taux interbancaires chinois ont explosé, dépassant les 12% et faisant craindre pour le système bancaire chinois dans son ensemble.

Nous avons assisté à compter de ce jour à une fuite massive de capitaux au départ des pays émergents: et là plus qu’ailleurs, les marchés ont corrigé – sans épargner aucune classe d’actif. Les actions, les obligations et les devises émergentes se sont effondrées de concert. Par exemple, la roupie indienne a perdu près de 20% en l’espace d’un mois, sans information nouvelle sur la situation du pays.

Ce sont environ 25 milliards de dollars qui ont quitté les marchés émergents en l’espace d’une quinzaine de jours. Ce rapatriement de capitaux sans raison fondamentale vers les marchés des pays développés a permis à ces derniers d’effacer quasiment les traces des vingt premiers jours de juin sur leurs marchés actions – mais pas sur des marchés obligataires en forte souffrance.

En tout état de cause, les acteurs de marché ont passé l’été les yeux tournés vers le communiqué très attendu de la Fed à la fin du mois de septembre, dans lequel Ben Bernanke devait annoncer le début du ralentissement des injections monétaires. La spéculation allait bon train, pour connaître le rythme de cette diminution et en anticiper les conséquences.

… et le contrepied de la Fed

À la surprise générale, le même Ben Bernanke, dont les déclarations avaient déclenché les foudres des marchés en juin, a annoncé la poursuite «jusqu’à une date ultérieure» des injections monétaires. La Banque centrale américaine va donc continuer à injecter pas moins que les 85 milliards d’USD tous les mois.

La Fed va-t-elle durcir sa politique monétaire ultra-accomodante ?

Alors qu’en est-il? La Fed va-t-elle réduire ses injections de liquidités? Au-delà des remous créés par cette annonce en mai, quels en seront les impacts sur l’économie, les dettes d’État et les pays émergents?

La décision surprise de poursuivre pour l’instant l’assouplissement monétaire en cours (appelé QE3) a plusieurs raisons, et s’explique pour une part par des facteurs conjoncturels.

Ben Bernanke ne pouvait ignorer l’état des troupes préparant les négociations entre Démocrates et Républicains quant au budget fédéral et surtout au relèvement du plafond constitutionnel de la dette américaine. Et effectivement, les négociations ont été extrêmement dures, amenant l’État fédéral américain à la limite du défaut de paiement le 17 octobre 2013, et contraignant ce dernier à déclencher un shutdown pendant presque trois semaines (i.e. la mise à au chômage de plusieurs millions de fonctionnaires non nécessaires au fonctionnement élémentaire de l’État. Même la NSA a mis 400 000 de ses collaborateurs à l’arrêt). Bref, Ben Bernanke n’allait pas ajouter pour le moment à ces tensions prévisibles le début d’un durcissement progressif de sa politique monétaire.

Par ailleurs, le mandat du patron de la Fed prendra fin vers la fin de cette année: en septembre, l’établissement le plus puissant au monde était au beau milieu d’une guerre de succession. La nomination à la tête de l’institution de Janet Yellen par Barack Obama a mis un terme aux incertitudes sur la politique envisagée. Yellen était la candidate la plus favorable à une politique «souple» de la Fed, issue du camp des «colombes» dressé face aux partisans de la rigueur monétaire, les «faucons» dans le jargon des gouverneurs de la Fed. Sa nomination présage une transition en douceur de la politique de la Fed.

De notre point de vue, sauf si nous faisons face à une reprise de la croissance mondiale véritablement puissante (scénario que nous n’écartons pas complètement pour les USA et l’Asie notamment, mais auquel nous croyons guère : la très faible croissance à laquelle est condamnée la zone euro pèsera sur la reprise économique mondiale), nous n’anticipons pas de durcissement brutal de la politique monétaire américaine. Nous voyons plutôt un arrêt progressif des mesures non conventionnelles de la Fed, qui ne débuterait que… plus tard! De nombreux analystes parlent de 2014, cela pourra être plus tard encore.

Au début du mois d’octobre, nous avons assisté à Chantilly à une conférence de Pipa Malmgren, conseillère spéciale de Barack Obama à la Maison Blanche: son analyse l’amenait à dire en substance que le durcissement monétaire, avec Janet Yellen, ce n’est pas réellement pour demain…

Néanmoins, même si sortir de ces politiques ultra-accommodantes sera extrêmement compliqué, dangereux et sans doute long, cette perspective est à long terme celle dans laquelle s’inscrivent les marchés, et conduit donc notre stratégie d’investissement.

 


Nos portefeuilles

  • Les obligations

La bulle obligataire commence à se dégonfler

La très importante hausse des taux d’intérêts sur les emprunts d’État européens ne s’est pas résorbée avec l’annonce surprise, en septembre, de la continuation pour le moment de la politique monétaire américaine. Pour nous, cette hausse des taux d’intérêts est durable, et nous restons à l’écart de ces titres en particulier. La construction européenne est en panne, l’euro est la variable d’ajustement des politiques monétaires des banques centrales actives (USA, Japon, UK, Australie…), et, ajouté à l’incapacité des politiques à réformer les économies, il continue de pénaliser toute reprise économique réelle dans cette zone.

Cependant, la hausse des taux (et donc le dégonflement de la bulle obligataire) s’étend entre autres aux emprunts américains. La hausse des taux longs US est assurément aussi une des raisons – peut-être la principale – qui a amené Ben Bernanke à ne rien faire en septembre: en effet, la hausse brutale des taux en juin risquait d’entraîner la hausse des taux d’emprunt, et donc d’entraver la reprise économique en cours outre-atlantique. Il nous semble que, si la tendance est durablement à la hausse des taux d’intérêts, certains excès de court terme peuvent permettre de se positionner sur ces titres de manière tactique.

Nous privilégions dans nos portefeuille les gérants capable de profiter de la baisse comme de la hausse des obligations: nous n’avons plus de positionnement durable sur des obligations à taux fixes. Nos portefeuilles peuvent afficher une sensibilité négative aux obligations.

  • Les actions

L’heure de la décorrelation

Depuis l’annonce de Ben Bernanke du mois de mai, nous remarquons une très forte décorrelation entre les titres des sociétés. Contrairement à ce que nous connaissions depuis la faillite de Lehmann Brothers, où l’ensemble des titres était emmené à la hausse ou à la baisse selon les nouvelles macro-économiques, sans distinction des qualités diverses des entreprises, il apparaît clairement depuis cet été que la micro-économie fait son grand retour. Ainsi, il redevient possible de pratiquer du bon stock-picking, en se décorrelant des indices boursiers. Nous revenons donc sur des sociétés leader dans leurs domaines à l’échelle mondiale, ou sur des sociétés travaillant des marchés de niche, en position très forte, non dépendantes de l’emprunt, et ayant une très bonne visibilité sur leurs cash flow futurs.

Par ailleurs, s’agissant des actions, nous nous méfions d’hypothèses de croissance anticipées qui nous semblent trop élevées en ce moment: la reprise mondiale des pays développés ne peut être très forte à notre avis, tant que les problématiques du désendettement public et privé pèseront sur elle. Aux États-Unis toutefois, les gains de compétitivité donné par l’exploitation industrielle des gaz et huiles de schistes, permettant aux entreprises américaines de se fournir à très bas prix en énergie, et les effets sur la balance commerciale américaine d’une telle industrie, pourraient stimuler l’économie plus que dans d’autres pays développés.

Le Japon à l’heure de la TVA sociale

Nous demeurons exposés aux actions japonaises, où le gouvernement de Shinzo Abe met en œuvre ses «Abenomics», c’est à dire «son remède de cheval» à l’économie japonaise, soutenu par une implication très forte de la banque centrale nippone. Avec succès jusqu’ici, car la déflation s’est déjà retournée en faible inflation. La demande intérieure se renforce, certaines charges fiscales sont transférées des entreprises vers la TVA, permettant à son économie intérieure de renforcer sa compétitivité, et contraignant les importations à participer au financement de l’État. Abe fera ainsi passer dans les prochaines années la TVA de 5 à 10% sans freiner l’économie japonaise.

Certains marchés émergents historiquement sous évalués

Là comme ailleurs, il s’agit de distinguer, parmi les événements du mois de juin, ce qui est durable de ce qui ne l’est pas. Les actions, les obligations comme les devises émergentes ont été très fortement attaquées. La perspective d’un durcissement monétaire, ainsi que la constitution d’opportunités alternatives de placements aux États-Unis suite à la hausse des taux du mois de juin, a poussé de très nombreux investisseurs à sortir des marchés émergents sans distinction aucune.

Mais également, l’annonce surprise de la banque centrale chinoise, le 10 juin 2013, qu’elle ne financera plus les actifs douteux des banques chinoises par de la création monétaire, a ajouté de la panique à la panique, et renforcé ce mouvement de retrait de capitaux.

Ici, nous n’avons plus la même analyse: il faut se rappeler qu’en 2008-2009, le gouvernement chinois a lutté contre les effets de la crise par des investissements publics très importants. Cette politique a porté ses fruits très évidemment, mais elle a également connu certains ratés : en particulier, l’accumulation de créances douteuses par les banques que sont les prêts aux investissements peu judicieux, ou inspirés par la corruption.

Aujourd’hui, le nouveau président chinois, Xi Jinping, en activité depuis la fin de l’année 2012, fait de la lutte contre la corruption l’un des fers de lance de son mandat. En outre, il considère à juste titre qu’on ne peut continuer à tirer la croissance chinoise par de l’investissement public et l’accroissement toujours aussi rapide du crédit. Ajoutant l’acte à la parole, un beau matin, la PBOC refuse un prêt à 48h pour une importante banque, mettant celle-ci en risque de faillite.

Ce faisant, le message est qu’il n’est pas question de continuer d’accroître le crédit en Chine, ni le niveau général de liquidité lié à l’investissement public: au contraire, c’est par une meilleure allocation des ressources des banques, et par la hausse des salaires et de la consommation que la croissance chinoise doit être soutenue. À leur habitude, les chinois ont passé le message brutalement, en l’occurrence par un refus brutal de prêt.

Cependant, il s’agit d’une excellente politique financière, d’une volonté ferme de maîtriser l’inflation et d’éviter les créances douteuses par la responsabilisation des banques. En outre, le fait de choisir ce moment de pleine tourmente, suite aux déclarations américaines, pour faire cet avertissement, constituent évidemment un geste politique fort de la Chine, visant à montrer aux États-Unis d’Amérique que la Chine ne dépend pas de l’approvisionnement en USD par la banque centrale américaine… Depuis, les conditions bancaires se sont parfaitement normalisées, les grands procès pour les hauts fonctionnaires confondus de corruption continuent de façon très médiatisée, et les banques sont vraisemblablement en train de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie dans leurs engagements de financement.

En guise de comparaison, en Europe, on préfère mettre les banques en difficulté sous perfusion de subventions publiques, au risque de mettre les Etats en faillite ; outre-Atlantique, les Etats-Unis ne parviennent toujours pas à se passer des injections monétaires de la Fed. Sur ces sujets, la Chine a encore beaucoup d’avance dans sa courageuse politique économique.

Par ailleurs, dans l’hypothèse où l’approvisionnement en dollar US viendrait à baisser progressivement, seuls les pays émergents qui disposent d’une balance commerciale équilibrée ou excédentaire ne seront pas affectés par un assèchement de liquidités. De la même façon, les devises de ces pays sont déjà en voie de retrouver leur niveau d’avant juin 2013. En?n, nous avons de très bonnes raisons de penser que la croissance chinoise sera au rendez-vous au dernier trimestre. Ainsi, une fois encore, les mouvements brutaux de marché du mois de juin s’expliquent plus par les difficultés des pays développés à maîtriser leur politique monétaire, que par des difficultés intrinsèques aux plus solides des pays émergents. Toutefois, la perspective d’un arrêt progressif du QE3 justifie une sélection renforcée parmi ces derniers.

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