Hollande, la Syrie et la Fed

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Une époque à haut risque.

Après avoir connu une très forte progression sur les premiers mois de l’année, les bourses européennes ont effacé ces dernières semaines la totalité de leurs gains – notre positionnement toujours extrêmement défensif nous a permis de préserver et d’accroître sereinement nos plus values. Nous conservons cette grande prudence au vu des derniers et des conséquences probables des prochains évènements européens.

L’Union Européenne entre en effet dans une phase à très haut risque, alors même que les recettes qui ont permis de maintenir les pays développés à flots jusqu’ici, semblent ne plus pouvoir fonctionner.

 

Europe : le rôle du pacte budgétaire européen

Le pacte de stabilité (appelé «règle d’or» en France), qui fut le résultat de quatre années de dures négociations européennes, est très fortement mis à mal: ce pacte visait à contraindre les pays membres de l’UE à maîtriser leur niveau de déficit budgétaire, et à assainir leurs finances publiques. Il est pour ainsi dire le principal lien entre les pays de la zone euro; sa ratification par les gouvernements est en cours.

Or, si ce pacte, en lui-même insuffisant, aggrave la récession dans les pays du Sud, durement touchés par leurs politiques imposées d’austérité budgétaire, s’il provoque, de l’autre coté, une fuite permanente des capitaux des pays fragiles vers l’Allemagne en particulier, le retrait de ce pacte pourrait être encore plus dangereux pour l’UE.

Les deux faiblesses congénitales de l’UE sont l’absence d’une banque centrale qui se porte garante des États (traité de Lisbonne) en situation extrême, et d’autre part, l’adoption d’une monnaie unique, non pilotée, par des pays aux compétitivités très différentes – bref l’absence de politique monétaire européenne. En effet, l’euro est trop faible pour empêcher durablement la naissance d’une inflation structurelle dans la très compétitive Allemagne; il est trop fort pour les autres pays (dont la France), condamnant ces autres pays, chacun à leur vitesse propre, à l’accumulation structurelle de déficits commerciaux de plus en plus importants et, par voie de conséquence, à l’enfoncement dans la crise de dette.

S’ajoute à ces «défauts chroniques de constructions», une tradition d’un certain laxisme budgétaire électoraliste dans l’ensemble des pays de la zone euro. C’est pourquoi, assurément, des réformes structurelles sont nécessaires dans l’ensemble des Etats européens, y compris pour les pays réputés «solides», puisqu’il n’est plus possible d’emprunter sans limite. En Grèce, par exemple, il était devenu impossible de licencier un employé en contrat indéterminé. Chaque entreprise hésite donc fortement à recruter par de tels contrats, un marché du travail précaire se développe parallèlement, et toute une génération se trouve exclue du marché du travail. En Grèce, comme en Espagne d’ailleurs, ce sont presque 6 jeunes de 18/25 ans sur 10 qui sont au chômage alors que l’Allemagne, grâce à sa forte compétitivité et favorisée par l’euro, est proche du plein emploi! Ces divergences économiques européennes entraînent des divergences de conception de la monnaie unique entre les pays: elles rendent quasiment impossible une politique monétaire commune. Aussi, comme l’Europe a accepté de se régler sur les exigences allemandes, la BCE n’a d’autre fonction que celle de contenir l’inflation (qui est un risque pour les allemands presque uniquement), et non de soutenir la croissance (ce qui serait nécessaire pour presque tous les autres pays).

En réalité, l’Europe fait le grand écart depuis 5 ans, pour essayer de continuer d’exister sous sa forme actuelle. Depuis le début de la crise, les négociations entre Angela Merkel d’un coté, et Nicolas Sarkozy de l’autre (qui représentait les autres pays européens), ont suivis le chemin suivant, afin de concilier l’inconciliable: l’Allemagne refuse catégoriquement que la Banque Centrale Européenne apporte tout soutien au pays fragiles de la zone euro, en affirmant à juste titre, que ce soutien dispenserait les Etats de faire les désagréables réformes nécessaires. De la même façon, elle refuse catégoriquement les euro-bonds, qui rendrait l’Allemagne indéfiniment solidaire des dettes abyssales des pays fragiles – ce que les finances publiques allemandes, plus fragiles qu’on ne veut bien le dire, ne peuvent supporter en réalité.

Aussi, dans la douleur de la dure crise que nous continuons de traverser, la stratégie de Nicolas Sarkozy a été de donner à l’Allemagne des «garanties» de ce que les réformes structurelles seront effectivement faites dans les pays qui en ont besoin (dont la France). Sachant que, une fois ces garanties données, les pays plus fragiles de la zone euro seront en mesure d’attendre de Berlin des concessions sur son idéologie de l’euro-mark.

Ces garanties, qui doivent permettre aux européens de s’entendre, consistent en le pacte budgétaire européen, autrement appelé en France, règle d’or, dont la ratification est en cours par les États Européens.

C’est que la promesse d’un engagement commun de réaliser les réformes structurelles poura être suivi par une réflexion sur la croissance européenne, et sur le rôle de la Banque Centrale Européenne. Sur ces deux points, les choses avaient commencé à avancer: Angela Merkel a accepté de respecter (enfin!) l’indépendance de la BCE… Et celle-ci a pu, en l’espace de trois mois, injecter 1000 milliards d’euros dans les banques (ses statuts lui empêchent de faire autrement…), ce qui a permis une relative détente des taux d’emprunts des pays fragiles sur les deux premiers mois de l’année…

1000 milliards pour seulement deux mois. Ces taux sont brutalement revenus à leur plus haut niveau historique pour les pays du Sud, niveaux absolument intenables pour l’Espagne, l’Italie…(le taux d’emprunt à dix ans est autour de 6% pour ces États). Et les taux d’emprunts de l’État allemand sont revenus à leur plus bas niveau: l’Allemagne, qui apparaît comme une valeur refuge, et qui aspire les capitaux européens en recherche de sécurité, bénéficie de taux d’intérêts réels largement négatifs! Encore ces divergences dues, in fine, à l’euro, qui avantage les pays forts, et condamnent les pays plus fragiles en les privant de tout ajustement monétaire…

Mais, il n’en est pas moins que, depuis décembre dernier, grâce aux avancées sur la règle d’or, la BCE a pu injecter des liquidités comme jamais auparavant, sans déclencher trop les foudres allemandes. En outre, des réunions étaient prévues courant juin, de longue date (elles ne sont pas liées à la campagne de Monsieur Hollande), afin de traiter le problème de la croissance des pays européens en récession prononcée, de plus en plus nombreux hélas… Bref, bien que la question de fond ne soit hélas pas abordée (celle de l’absence de politique monétaire dans la zone euro), les choses commençaient à avancer au niveau européen sur la base des garanties apportées par le pacte budgétaire européen (alias la «règle d’or»). Certes, nous avançons toujours à la vitesse d’un escargot somnolent, comme c’est hélas toujours le cas par chez nous, mais nous avançons jusqu’à ces dernières semaines.


Le pacte budgétaire en danger / l’UE en situation critique

Dimanche prochain, le 6 mai, deux élections à très haut risque auront lieu en Europe.

En France d’abord, le favori des sondages, François Hollande, annonce qu’il s’opposerait à la ratification par la France de ce pacte, pourtant porté jusqu’ici par la France et l’Allemagne, et qu’il le remplacerait par un «pacte de croissance», particulièrement nécessaire pour les pays du Sud de l’Europe…

Mais comme en Europe, chaque décision doit être le fruit d’un accord concerté de pays membres, aux intérêts de plus en plus contradictoires, la non- ratification du pacte budgétaire par la France sera extrêmement dangereuse et contre-productive. En effet, le pacte budgétaire européen, pour insuffisant qu’il soit, est la base sur laquelle il a été possible d’ouvrir les discussions sur une politique de croissance en Europe (mais laquelle?). Des réunions avaient été programmées de longues dates, pour le mois de juin 2012, afin d’essayer de traiter cette question décisive et extrêmement épineuse à la vitesse européenne.

Ainsi, avant même le résultat de ces élections française, les réactions ne se sont pas faites attendre: après avoir donné l’impression de soutenir la requête de François Hollande, Mario Draghi, le président de la BCE, a vertement rappelé la nécessité pour les Etats de réaliser les réformes structurelles nécessaires. Mais plus encore, alors même que la BCE avait commencé à aider les États à se financer (les fameux 1000 milliards € injectés entre décembre 2011 et février 2012), le risque de non-ratification du Pacte Budgétaire par la France lui interdit toute intervention à l’avenir. En effet, la BCE serait à juste titre accusée de permettre aux Etats de s’exonérer des réformes structurelles nécessaires.

Rappelons nous que c’est l’action de la BCE qui, depuis bientôt 5 ans, a permis à l’Europe d’être encore sur pied à ce jour, par ses actions ponctuelles, souvent dans une extrême urgence. Avec une BCE neutralisée par la remise en cause du Pacte Budgétaire, la crise européenne revient à son point de départ. Les États devront se débrouiller avec leurs prêteurs (les marchés), sans filet, alors même que la récession s’étend en Europe, entraînant l’aggravation des déficits budgétaires de nombreux pays… Retour au point zéro de la crise européenne sans BCE.

Angela Merkel a déjà commencé d’entamer des négociations rapprochées avec Mario Monti, homme fort (non-élu…) de l’Italie, laissant entendre que l’Italie pourrait remplacer la France, à l’avenir, comme partenaire privilégié de l’Allemagne: une recomposition du leadership européen semble être en cours.

Mais ce n’est pas tout.

Le même 6 mai 2012, en Grèce, auront lieu des élections législatives à très haut risque. Tout a été fait au niveau européen, notamment par l’Allemagne, pour tenter d’annuler ces élections, ou de les reporter au maximum et pour cause:

En effet, si, d’ordinaire, les partis d’extrême-gauche grecs sont extrêmement minoritaires, ils sont presque les seuls partis grecs à n’avoir pas validé la feuille de route des réformes imposées à la Grèce par la troika (FMI, BCE, Commission Européenne) en échange de l’aide financière de l’Europe. Aussi, face à la grande (et inutile) brutalité des réformes exigées dans ce pays, les populations semblent se retourner vers ces partis. Ils sont crédités cette fois-ci, d’un très important score. Si un tel score était réalisé, leur élection pourrait empêcher le gouvernement grec de mettre en place à l’avenir les réformes de plus en plus contestées exigées par la Troïka – et ceci remettrait donc immédiatement en cause l’aide financière donnée à la Grèce… Retour au point zéro de la crise grecque…

Par ailleurs, les gouvernements des pays solides de l’UE, ceux encore notés AAA par l’ensemble des agences de notations, commencent à être touchés eux aussi: le gouvernement des Pays-Bas, divisés sur les mesures d’austérités à prendre (désaccord sur une baisse des pensions de retraites, chez eux également…), a présenté sa démission il y a une quinzaine de jours. Le gouvernement a sauté, et des élections anticipées sont attendues.

Le gouvernement tchèque est dans la même situation depuis vendredi dernier, ainsi que le gouvernement roumain, bloqué par son opposition depuis dimanche dernier. Là encore, des élections anticipées sont vraisemblablement attendues.

Bref, les gouvernements se succèdent, sur fond de hausse de la protestation des populations européennes, d’aggravation conjointe de la récession et des déficits budgétaires des pays du Sud en particulier sans que la BCE ne puisse intervenir si le pacte était rejeté. Nous entrons dans une zone de très hautes turbulences pour l’Europe.

 


Le reste du monde : la Syrie et la Fed

Mais regardons le reste du monde! Le salut est déjà venu à maintes reprises de la planche à billet américaine. Les impressions massives de dollars américains par la Fed ont permis d’éviter la faillite d’AIG suite à Lehmann Brother, de financer l’État américain, le sauvetage des banques US, etc. Toutes choses que nous ne pouvons faire en Europe, même en situation de faillite d’Etat.

Et, en effet, nous avions vu qu’au premier semestre 2011, la Fed avait réalisé une importante opération de création monétaire, appelée du doux nom de QE2, dont nous avons beaucoup parlé déjà. Si ces USD fraîchement imprimés ont permis, un temps, de diminuer la pression sur les banques européennes et de faire monter les marchés actions, ils ont aussi eu pour conséquence une très forte hausse des matières premières cotées en dollar, et en particulier du pétrole. Et la hausse du pétrole a finalement pesé très lourd sur la croissance mondiale: les pays développés, non- producteurs de pétrole pour l’instant (le gaz de schiste arrive aux USA!), ont été naturellement touchés; mais les pays émergents également ont été victimes d’une brutale hausse de l’inflation, qui a manqué de faire capoter leur propre croissance.

Cette année, les marchés ont très fortement montédans les deux premiers mois de 2012, parce que les investisseurs anticipaient un nouveau programme

d’assouplissement monétaire, un QE3. Or, nous pensons comme depuis le début de l’année, qu’il ne?peut y avoir de QE3. D’où le maintien de notre positionnement prudent sur les marchés, plutôt à l’écart des actions. Pourquoi? Du fait de la Syrie!

Comme vous le savez, outre les actes irréparables que son État commet contre sa propre population, la Syrie est un assez important producteur de pétrole. Aujourd’hui, alors que les pays développés (au sein de l’ONU) réfléchissent à une intervention militaire, la Syrie bénéficie du soutien presque sans faille de la Chine et de la Russie, mais aussi d’autres pays émergents. Aussi, malgré des sanctions économiques et financières, la tension perdure, et les prix du pétrole restent élevés (autour de 120 dollars le baril), alors même que l’Europe entre récession, que la croissance américaine est encore fragile…

Qu’est-ce que cela signifie pour nous?

Si le dirigeant de la Fed décidait d’injecter massivement des dollars, le pétrole, déjà cher, monterait encore plus! Et la croissance américaine (qui, aujourd’hui encore, ne repose que sur la baisse du taux d’épargne, non sur une hausse des revenus des foyers américains…) serait assurée d’un sérieux coup d’arrêt. Selon notre analyse, un QE3 n’est donc pas possible en l’état.

Autrement dit, la Chine et les émergents, en maintenant un prix élevé du pétrole grâce à leur soutien à la Syrie, privent les USA de leur banque centrale! Les émergents se protègent eux-mêmes, en soutenant la Syrie, de l’inflation des matières premières, y compris agricoles, qui serait destructrice aussi bien pour ces pays émergents, que pour les pays pauvres d’Afrique – inflation qui serait mécaniquement créée par une nouvelle injection massive de liquidités par la Fed.

En résumé, la Fed est neutralisée par la Syrie, la BCE l’est du fait de ses statuts, et du fait du risque de remise en cause du pacte budgétaire européen…

Nous nous attendons à ce que le risque systémique revienne en force dans les semaines et les mois qui viennent.

Pendant ce temps, les entreprises se portent plutôt bien aux USA, mais aussi en Europe, où les publications de résultat ont été assez largement supérieures aux attentes. Drôle de monde !

 


Mandats patrimoniaux

Nous avons maintenus nos positions depuis le début de l’année, et donc notre exposition a minima à la zone euro. Nous conservons une forte exposition au dollar américain, qui est encore le rempart contre le risque systémique; et une exposition très importantes aux titres et aux devises des nouveaux pays solides (Suède, Canada, Australie, Émergents). Nos portefeuilles ont une sous-pondération en action, et une surpondération en obligation de court terme dans ces pays solides (quasi-monétaire) et en dollar US. Nous conservons cette prudence, dans l’attente que la grande incertitude actuelle face place à notre avenir.

Mandat spécial

De même, nous n’avons pas encore investi notre mandat spécial no.1, malgré le caractère positif de l’ensemble de nos indicateurs. L’explication de notre prudence se trouve ci-dessus.

Par ailleurs, nous rappelons à nos clients entrerons une nouvelle sicav (voire deux) lorsque nous investirons ce mandat: elles permettront d’investir également sur les obligations des pays émergents, et non plus seulement sur les actions.

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